Cummings-Price écrit un nouveau chapitre du basket africain
Prenant rapidement quelques notes tout en gardant un œil sur l'entraînement, Natosha Cummings-Price transpire la confiance et le sérieux d'une personne qui a la situation bien sous contrôle.
DAKAR (Senegal) - Prenant rapidement quelques notes tout en gardant un œil sur l'entraînement, Natosha Cummings-Price transpire la confiance et le sérieux d'une personne qui a la situation bien sous contrôle.
Beaucoup autour d'elle ne savent pas encore que c'est elle qui est à la tête de l'équipe nationale féminine du Cameroun actuellement engagée au FIBA Women's AfroBasket 2019 à Dakar (Sénégal).
Elle porte un t-shirt vert avec l'inscription 'Cameroun' sur le devant, tandis que deux hommes, de l'autre côté du terrain, sont habillés de la version rouge du même t-shirt et donnent des instructions aux joueuses.
Ces hommes sont le Camerounais Hamed Njoya et l'Italien Stefano Bizzozi, anciens coachs des Lionnes et actuels assistants de la technicienne. Le Cameroun est présent dans la Dakar Arena pour y prendre ses marques avant le début du tournoi.
Un homme en quête d'informations au sujet de l'équipe vient vers elle et lui demande où est le coach. Elle lui répond : "C'est moi."
Il marque son étonnement et acquiesce, n'arrivant pas à cacher sa surprise derrière son large sourire. Mais celui-ci est empreint d'un très grand respect pour cette femme qui est en train de réécrire l'histoire de cette compétition biennale, dont c'est la 26e édition.
Ce genre de situations, les femmes coachs doivent fréquemment les affronter dans le monde du sport - les gens ne s'attendent en effet pas à ce qu'elles occupent des positions aussi importantes, encore moins dans le basket.
"JE SUIS HONORÉE D'AVOIR LA CHANCE DE VENIR DANS UN AUTRE PAYS ET DE POUVOIR Y ENSEIGNER LE BASKET. LE BASKET EST UNE LANGUE UNIVERSELLE, PEU IMPORTE SI C'EST UN HOMME OU UNE FEMME QUI LA PARLE."
Lorsque le Cameroun a fait son entrée dans le tournoi dimanche, s'imposant contre la Tunisie, elle est devenue la première femme à coacher une équipe dans la compétition majeure du basket féminin africain.
Cet événement arrive à un moment où de nombreuses coachs américaines sont en train de démontrer qu'elles arrivent aussi à relever ce défi considéré pendant longtemps comme réservé aux hommes uniquement.
Dans un entretien exclusif accordé à FIBA.basketball, Cummings-Price déclare : "Il n'y a aucune limite à ce que nous sommes capables de faire et ce que nous faisons si la chance nous en est donnée, que ce soit en Afrique ou ailleurs dans le monde. Nous sommes aussi compétentes que les hommes. Mon objectif est de conduire le Cameroun vers un titre. Je ne suis pas là pour faire le buzz. Je veux gagner."
Devant ses fans à Yaoundé en 2015, le Cameroun avait pris le second rang, s'inclinant 81-66 contre le Sénégal au terme d'une rencontre très serrée, même si l'écart final semble dire autre chose. Ce résultat avait été le meilleur depuis leurs débuts en 1984 au Sénégal, où les Camerounaises avaient décroché le bronze.
Pour son retour sur la Côte Ouest, le Cameroun ne fait pas partie des favoris suite à la grosse déconvenue de 2017, avec un modeste 8e rang. La sélection camerounaise n'est ni celle du Nigeria, championne en titre, ni celle du Sénégal, hôte et sacrée championne continentale à 12 reprises.
Cummings-Price ne mâche néanmoins pas ses mots et elle insiste sur le fait que le Cameroun est là pour gagner le titre, pas simplement pour participer à la compétition.
Cummings-Price lors du premier match
De plus d'une manière, sa présence au bord du terrain marque un nouveau tournant pour cette jeune équipe, qui peut compter sur l'expérimentée ailière-forte Amina Njonkou, 31 ans, pour encadrer les nouvelles arrivées.
Solange Ebondji et Sandrine Ayangma, âgées de 32 ans, apportent également toute leur expérience, leur savoir et leur bienveillance aux jeunes.
Cette transition entre les vétérans et les plus jeunes comme Cinthia Mbakop et Paola Nyinkeu, toutes deux 22 ans, réjouit particulièrement Cummings-Price, tout en lui faisant chaud au cœur. Elle ne s'en cache pas.
Entre les deux générations, il y a Marie Ange Mfoula, qui a joué un rôle déterminant dans la qualification pour cet AfroBasket. Capitaine de l'équipe, c'est elle qui est chargée de faire le lien entre l'anglophone Cummings-Price et le reste du groupe bilingual, le Cameroun reconnaissant le français et l'anglais comme langues officielles.
🇨🇲 Cameroon put on a strong performance in their #AfroBasketWomen opener. Final score: 95-53 vs Tunisia
— FIBA (@FIBA) August 11, 2019
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Cummings-Price prête une extrême attention aux détails, à tel point qu'elle a décidé de s'adjoindre les services de l'ancienne capitaine Priscilla Mbiandja, en faisant d'elle sa directrice d'équipe, tout en essayant de la guider et de la préparer à devenir l'une des ses assistants dans un futur proche.
"Il est très important pour moi de mettre en avant les femmes, c'est même un honneur. J'ai le sentiment de représenter les femmes du monde entier. C'est l'occasion de montrer que nous pouvons non seulement être performantes sur le terrain, mais aussi comme coach ou comme administratrice," explique Cummings-Price.
"Priscilla a joué dans cette équipe et elle a pris sa retraite l'an passé. Elle les comprend parfaitement et cela m'aide à mieux les connaître. J'étais présente avec l'équipe lors des Éliminatoires de la Zone 4 de FIBA Afrique en avril-mai, je peux donc dire que je commence à bien les connaître."
Cummings-Price est toutefois prompte à souligner l'importance que certains hommes ont eu tout au long de son parcours de coach.
Parmi eux, il y a le coach actuel de la sélection nationale masculine du Nigeria Alex Nwora, également en poste au Erie Community College (USA), où elle est l'une de ses assistants avec les garçons et en charge de l'équipe des filles.
Cummings-Price assiste Nwora au Erie Community College (USA)
Samuel Nduku, président de la fédération camerounaise de basketball, fait partie de ceux qui ont soutenu la nomination de Cummings-Price à ce poste. Conscient d'avoir contribué à l'écriture de cette page d'histoire, il commente : "Les femmes sont tout aussi compétentes que les hommes pour coacher au basket."
Elle poursuit : "Merci d'avoir cru et de faire confiance à une femme. J'espère ne pas les décevoir et les convaincre que leur décision était la meilleure dans l'intérêt de ce programme. Je sais qu'ils ont pris un risque en me nommant coach, surtout que c'est quelque chose qui n'était encore jamais arrivé à ce niveau en Afrique."
"C'est un véritable honneur de savoir que des gens croient ainsi en moi, au point de me donner cette opportunité que les femmes, en particulier de couleur, n'ont pas l'habitude de recevoir."
"Je suis honorée d'avoir la chance de venir dans un autre pays et de pouvoir y enseigner le basket. Le basket est une langue universelle, peu importe si c'est un homme ou une femme qui la parle."
Pour Cummings-Price, ce n'est que la poursuite d'une ancienne lutte pour réussir à mettre en avant le nombre grandissant de femmes coachs partout dans le monde, en particulier aux USA, où Becky Hammon (San Antonio Spurs), Kara Lawson (Boston Celtics) et jenny Boucek (Dallas Mavericks) sont des assistantes en NBA. De quoi faire tomber quelques barrières.
"Les gens ne nous croient pas aussi capables que les hommes, mais dès que l'opportunité nous en est donnée, nous démontrons que nous connaissons et comprenons le basket aussi bien qu'eux, ce d'autant que ce sont souvent des hommes qui nous ont formées."
"J'ai appris au contact de certains des meilleurs coachs masculins des USA, ainsi que de femmes de premier ordre comme Vivian Stringer. J'ai aussi assisté à pas mal de cliniques proposés par Bobby Knight."
Sans le savoir, Cummings-Price fait de nombreuses émules parmi les assitantes coachs également engagées dans le tournoi à Dakar. Elles sont folles de joie.
La légendaire Mozambicaine Deolinda Ngulela, qui a décidé de raccrocher les baskets, participe à son second FIBA Women's AfroBasket consécutif comme assistante.
Ngulela dit à FIBA.basketball : "Ça me donne la chair de poule de la savoir au bord du terrain. C'est une fantastique source d'inspiration pour nous toutes. Cela prouve qu'il est possible pour une femme de devenir coach d'une équipe."
Elle n'est pas la seule à partager cet enthousiasme. La Nigériane Ndidi Madu, qui a pris sa retraite l'an dernier, est tout de suite partie aux USA pour apprendre le métier de coach. Elle est actuellement assistante coach du Nigeria, champion en titre, après avoir aidé son pays à décrocher le titre continental en 2017, comme joueuse.
Madu commente : "Quand je l'ai vue, ça m'a surprise. Il est évident qu'elle est en train d'ouvrir la voie pour des jeunes coachs comme moi. Les fédérations africaines doivent changer leur manière de raisonner, car la majorité des coachs sont des hommes. Elle démontre que les temps changent. C'est ce que je veux faire. Nous n'avons aucune limite. Les femmes peuvent aussi coacher."
En 2017, Brigitte Affidehome Tonon a écrit l'histoire en devenant la première femme à coacher une équipe masculine en Afrique, lorsqu'elle a repris les commandes du Bénin. À l'époque, l'Australienne Liz Mills était assistante de la sélection nationale masculine de Zambie. Elle a depuis intégré le staff technique de celle du Cameroun.
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