Batum : son cœur bat pour celui de son père
Bien avant qu’il gagne la médaille d’or avec la France au Championnat d’Europe U16 FIBA 2004, il était évident que Nicolas Batum avait hérité du talent de son père.
CHARLOTTE (USA) - Bien avant qu’il gagne la médaille d’or avec la France au Championnat d’Europe U16 FIBA 2004, il était évident que Nicolas Batum avait hérité du talent de son père.
Mais pour la majeure partie de sa vie, c'est plutôt son héritage génétique qui a suscité les pires craintes, son père étant décédé d'une rupture d'anévrisme à 30 ans.
Avant de monter dans l’avion à destination de Paris, où les Charlotte Hornets affrontent vendredi les Milwaukee Bucks de Giannis Antetokounmpo, Batum a accordé un entretien au Charlotte Observer, au cours duquel il s’exprime au sujet de ce souvenir extrêmement douloureux.
Son père, Richard Batum, était un robuste ailier qui avait quitté le Cameroun pour jouer professionnellement à Proville, au nord de la France.
"Je me souviens de tout," dit Batum à l’Observer. "Quand tu vois ton papa mourir sous tes yeux, le traumatisme est énorme."
Il avait déjà évoqué ce moment dans Sports Illustrated en 2012. “C’est un souvenir affreux. J’y repense parfois."
"IL ÉTAIT JOUEUR DE BASKET, DONC IL FALLAIT QUE JE LE DEVIENNE AUSSI. J’EN PARLAIS QUAND J’ÉTAIS ENFANT. À L’ÉCOLE, LES GENS ME DEMANDAIENT ‘QUE VOUDRAS-TU FAIRE QUAND TU SERAS GRAND ?’ ET JE LEUR RÉPONDAIS ‘JE VEUX DEVENIR BASKETTEUR’. C’EST TOUT.."
"Je le revois subir une faute et se rendre sur la ligne des lancers francs. Puis il s’est effondré. Je me rappelle de l’après, quand je me suis réveillé et que toutes les chaînes TV en parlaient et que ma maman pleurait, toute l’agitation autour de ce terrible événement. Je n’avais certes que deux ans, mais je m’en souviens."
Au lieu d’éloigner Batum des terrains de basket, ce drame l’a motivé. Cette douloureuse perte a donné une sorte de but à sa vie.
"J’ai commencé à jouer très jeune. J’avais le sentiment que je devais m’impliquer dans le basket, pour continuer l’histoire," dit Batum. "Il fallait que je fasse quelque chose pour lui."
Batum (tout à gauche) avec la sélection française à la Coupe du Monde U19 FIBA 2007
"Je me devais de poursuivre ce qu’il avait entamé. Il était joueur de basket, donc il fallait que je le devienne aussi. J’en parlais quand j’étais enfant. À l’école, les gens me demandaient ‘Que voudras-tu faire quand tu seras grand ?’ et je leur répondais ‘Je veux devenir basketteur’. C’est tout. Comme je savais qu’il avait été un joueur pro, je voulais en devenir un aussi. Je ne m’imaginais pas finir un jour en NBA ; je voulais juste jouer au basket quelque part. Mais je suis très heureux d’être arrivé jusqu’en NBA, car je sais qu’il m’observe depuis là-haut et qu’il est fier de moi."
Considéré à 19 ans comme l’un des joueurs les plus prometteurs d’Europe, son passage en Amérique semblait une évidence. Les réussites de Tony Parker, Boris Diaw, Mickael Pietrus et Ronny Turiaf avaient ouvert la voie pour les jeunes joueurs français.
En 2008, durant des séances d’entraînement en vue de la Draft NBA, il avait passé un test d’effort avec électrocardiogramme avec les Toronto Raptors. Le médecin de l’équipe lui alors avait demandé s’il y avait eu des cas de problème cardiaque dans sa famille. Il avait alors évoqué le cas de son père, ce qui avait immédiatement eu des conséquences.
"Plus aucune équipe ne voulait travailler avec lui," confie son agent à l’Observer.
Batum était dévasté.
"Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ?"
Il avait eu le sentiment que sa carrière entière de basketteur était désormais en péril. Si la NBA lui fermait ses portes, pourrait-il encore prétendre à un contrat en Europe, jouer avec la France ?
"Je me disais alors ‘Soit on me donne le feu vert pour jouer au basket, soit on me renvoie chez moi et je devrai envisager une toute autre carrière.’ Cela a été la période la plus difficile de ma vie."
Son agent a organisé des examens à la ‘Cleveland Clinic’ et les San Antonio Spurs se sont arrangés pour qu’il voit un second spécialiste au Texas. Tous les deux étaient d’accord pour dire qu’il n’y avait pas de raison de s’inquiéter. Mais celui-ci ne lui garantissait aucunement d’être drafté, au premier tour ou après.
L’Italien Danilo Gallinari a été choisi en 6e position par les Knicks. Toronto a laissé passer Batum et pris Roy Hibbert en 17e position. Les Charlotte Bobcats - leur nom à l’époque - ont porté leur choix sur Alexis Ajinca, le coéquipier en sélection de Batum, en 20e position. Les Spurs avaient le 26e choix, mais ils n’ont jamais pu enrôler Batum, puisque ce sont les Rockets qui l’ont drafté en 25e position et qui l’ont directement envoyé à Portland, un échange déjà prévu à l’avance.
C’est ainsi que la carrière NBA de Batum a commencé. Il en est maintenant à sa 12e saison. Une année après avoir rejoint les Trail Blazers, il a fait ses débuts en sélection nationale senior à l’occasion du FIBA EuroBasket 2009.
Il allait ensuite gagner une médaille d'or au FIBA EuroBasket 2013, une de bronze en 2015 et aider la France à prendre le 6e rang des JO de 2012 et de 2016, ainsi qu'à deux reprises la 3e place de la Coupe du Monde FIBA, en 2014 et en 2019.
Batum estime que la France, qui est déjà qualifiée pour les JO de Tokyo 2020, a les atouts pour bousculer davantage la hiérarchie mondiale et se mêler à la lutte pour la médaille d'or.
En septembre à la dernière Coupe du Monde, elle a battu les USA en quarts de finale (89-79) pour se positionner en vue de l'obtention de son meilleur résultat dans cette compétition. Mais au tour suivant, elle est tombée sur une tornade sud-américaine plus forte qu'elle.
Au sujet de cette défaite en demi-finale, Batum concède : "Nous avons perdu contre une équipe d'Argentine qui était vraiment dans un bon jour. Et nous pas."
"À notre retour, nous nous sommes dit 'mission presque accomplie', poursuit Batum. "Nous aurions pu faire mieux. Mais nous étions ok (avec la médaille de bronze), sans être pour autant ravis."
Batum reconnaît que la sélection française engagée en Chine l'été passé était une équipe en pleine transition. Il ne manque pas de souligner les belles prestations de Rudy Gobert et d'Evan Fournier.
"Ces deux gars ; leur heure est venue, la France a tourné une page et commencé un nouveau chapitre. Tony est parti, Boris aussi. Pour Rudy, le moment est bien choisi pour montrer au monde son nouveau statut. Pour Evan, il s'agit de combler le vide offensif laissé par le départ de Tony."
Le tournoi mondial a également permis à Frank Ntilikina de s'affirmer. "Nous avons perdu (Thomas) Heurtel durant la préparation. Frank n'a pas eu de choix. Il est devenu l'option N° 1 à la mène. C'était énorme, car nous connaissions déjà ses grosses qualités défensives. Nous lui avons fait confiance et nous l'avons beaucoup encadré au cours de la compétition."
Suite à ses importants départs, Batum est celui qui est chargé de faire le lien entre les succès passés et futurs. Il se dit prêt à assumer n'importe quel rôle que lui confiera le coach Vincent Collet. Il se veut plutôt optimiste quant aux chances des Bleus au Japon. "Nous savons que ce que nous avons réalisé en Chine est une excellente chose pour le basket français."
Ainsi s'exprime le cœur de l'équipe de France.
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